Dès l'intro, mi manifeste agit-prop', mi poésie contestataire, on
est en territoire connu. Noir avec «conscience», rock avec «attitude», le dernier Fishbone Chim chim'Badass Revenge, ne dépare pas le reste de la discographie de ce fleuron pionnier de la scène fusion de Los Angeles.
On se souvient qu'au début des années 80, loin des pitreries FM de Van Halen et plus colorée que celle, plombée, de groupes punk comme Black Flag ou X, la «rage» de groupes déviants à la Red Hot Chili Peppers détonnait dans le paysage autoroutier de l'industrie du disque. Depuis, Rage Against the Machine a fait fortune, en soldant Che Guevara et autre Bakounine aux kids gavés de sucreries MTV. Trop exigeant musicalement (de la fanfare ska mâtinée de Nouvelle-Orléans aux relectures zappaïennes de l'héritage gospel) et irréductiblement «politique», Fishbone ne pouvait que manquer d'air au milieu d'années 90, recyclant tout à la vitesse des clips publicitaires. Que le dernier album du groupe sonne terriblement démodé n'étonnera donc personne, car il y a de l'héroïsme (au sens le plus primitivement athlétique) à occuper aujourd'hui plus d'une saison un tel terrain.
C'est de tout cela que parle Chim Chim's Badass Revenge, qu'on peut approximativement traduire par «la méchante vengeance du gogo»: du règne planétaire d'industries toutes puissantes, d'aliénation, de cette «haine» des exclus.
Interrogé la semaine dernière dans son studio de Los Angeles, Angelo Moore, leader-chanteur aux yeux de doux dingue et performer hors-pair (quelques côtes brisées à sauter dans le public) s'expliquait: «Les Chim Chim représentent les exclus de l'ascension sociale, pompistes, hommes d'usine et une nouvelle partie de la middle-class, ne parvenant plus à trouver de sens à une existence aliénante. Incapables désormais de se voir autrement que comme maillons surexploités d'une chaîne de production dont ils ne voient pas le bout. La seule «vengeance» que nous proposons à ces gens est de prendre contrôle de la situation au niveau personnel et social.» Un écho d'anarchisme suranné et néanmoins lucide en ces temps de «dépolitisation», pour citer lethéoricien politique des années 30, Karl Schmitt, qui a ironiquement fait école aussi bien à droite qu'à gauche.
Angelo Moore ne croit pas si bien dire quand, stigmatisant le séparatisme des mentalités musicales, derrière la façade de civilisation «multi-ethnique», il parle du public noir quittant les salles de tel festival hip-hop où figurait Fishbone cet été, public désormais trop inculte pour réaliser que toutes les musiques (rock, ska, jazz) jouées par le groupe sont aussi «noires» que la plus noire des rimes de Public Enemy. De là à suivre le même Moore lorsqu'il fait reposer la responsabilité de cette acculturation croissante sur des médias «manquant à leur devoir d'information»...
Aux velléités d'interprétation socio-politique, on préfèrera définitivement l'Angelo Moore romantique et pessimiste trouvant avec tels Fight For Nut Meg ou Monkey Dick les mots pour cracher à la face de la terre «dévastée» par le cynisme productiviste, une mélancolie sans issue: «Si vous trouvez mon disque sombre, lisez les journaux, marchez dans la rue, vous y verrez des gens luttant contre la folie, bataillant pour retenir un semblant de paix dans leur âme et leur coeur. Mais comme je le dis également dans Psychologically Overcast, certains choisissent de vivre avec des nuages dans leur tête. C'est pour réveiller tous ces endormis que souffle encore la tornade Fishbone en 1996».